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Channel: D-Fiction » Mathieu Brosseau-L'Animal Central
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Toute blanche

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Le phénomène est sans doute plus réel que les objets qui le composent.

 

Salut !

Tu vois, je suis habillé, mes parents m’ont habillé, ils mes donnent quelques sous d’argent de poche et je viens chez toi chaque été, ils me demandent de t’écrire des cartes postales dès l’hiver arrivé, moi, ça m’ennuie beaucoup, d’abord parce que je n’aime pas beaucoup écrire, ça me fait mal aux muscles de la mains et puis parce que ton visage, quand j’y pense, me fait mal au cœur. Je suis habillé te disais-je (à ce propos, pourquoi m’oblige-t-on à te tutoyer ?) car mes parents m’ont dressé pour la vie, j’ai tiré d’eux un certain cafard, ils diront qu’ils n’ont jamais voulu me le donner mais c’est un fait, j’ai hérité d’un gène nomade et déshabillé. Aussi, quand il s’agit de se vêtir pour la messe ou d’écrire une carte, une mélancolie m’afflige insidieusement. Je suis allé chez toi, il y a quelques semaines, tu as une belle maison, elle est blanche et tu en es très fière. Mais moi, quand je te vois, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que deviendront tes rides quand tu seras en sous-sol. Qui sera là pour les soigner, tes rides ? Non qu’elles soient une maladie, mais plutôt un mal. Il y a une erreur dont on ne se dépare pas, celle de croire fixer un corps. Et pourtant on n’arrête pas de le croire. La présente lettre en est la preuve. Les bandelettes que je t’ai vues acheter à la pharmacie en sont la preuve, ces bandes de gaze, autant que le masque anti-rides, avec crème fraîche et concombres, que je t’ai vue poser sur ta figure blanche vieillie. Moi, j’suis qu’un petit bonhomme mais je sais que j’veux rien attraper. J’veux juste aimer le murmure de la mer. Tu vois quand je viens chez toi, mon seul soulagement c’est qu’t’habites pas loin des mouettes. Je n’aime pas beaucoup les ports, j’ai vu beaucoup de gens qui aimaient ça. J’aime les bateaux, seulement quand ils bougent. Moi, j’préfère le murmure, et ce que l’ensemble a à dire. Ca cause, c’est vrai ça cause. L’ensemble cause toujours, tu vois. Les éléments du paysage, eux, y sont juste des trucs déjà-vus qui rassurent ta tête déjà-vue, elle-aussi. Et pourquoi est-elle déjà-vue, ta tête ? A cause des cheveux permanentés, des crèmes que tu te fous et des bandelettes que tu te mettras. Dans ta tête, y a plein de conservateurs, et t’aimes tellement qu’on te prenne en photo à chaque repas de famille. Dans ces moments-là, tu vois, je suis toujours un peu déboussolé, je m’demande toujours pourquoi moi, j’rêve aux murmures des ensembles, de ce que le phénomène a à dire. Toi, quand tu t’es mise à décorer ton salon, t’as placé plein plein d’objets partout, c’est très chargé comme on dit. Mais je sais bien que c’était pas des dispositions magiques délibérées, c’était juste comme des petits pansements sur les blessures de ton salon. Des blessures provoquées par ce qui l’envahit de l’extérieur, ton salon. A cause du phénomène, qui bouge et se déploie. Ben oui, les choses du monde s’entrechoquent et s’introduisent les unes dans les autres en avançant. Mais ça, mamie, je sais que tu peux pas comprendre. Tu vois, le phénomène il a pas d’objets réels en lui, c’est nous, juste nous qui lui inventons une composition, on est bons techniciens, on le croit pluriel, avec plein de trucs dedans lui ; on a besoin de rêver, comme tes bandelettes ont besoin de rêver, de croire que tes rides s’arrêteront de se friper quand tu seras au sous-sol. Mais faut pas rêver, mamie, quand tu seras là-dessous, tu seras introduite aussi, comme tous les objets qui saturent le cimetière communal. J’ai jamais eu besoin de cadastre pour me retrouver dans un cimetière, moi ; il me faut juste trouver une petite butte, ou monter sur une échelle ou un arbre et de là, je vois des choses qui bougent. Ben ouais, car les objets du cosmos s’étirent en avançant comme j’te le disais plus haut. Et se mettent les uns dans les autres comme lors d’un lent, très lent, infiniment lent carambolage. Et si je considère (et d’ailleurs, c’est la vérité) que les tombes existent moins que le cimetière, que les bateaux existent moins que le port, qu’il n’y a qu’un courant et pas d’objets portés par lui, alors y a tout de suite quelque chose qui se révulse dans ma gueule d’animal, ma mamie. Toi, quand tu seras dans cette cave, tu pourras même plus éternuer même si y a beaucoup de poussières. Tu sais moi, suis pas vieux, mes parents qui m’ont habillé m’ont demandé de t’écrire pour te dire que je pense à toi, et j’ai mal aux mains maintenant, c’est presque l’hiver et t’es pas morte, alors je pense à toi, tu vois, suis obéissant comme petit gars. T’es ma mamie bandelette, ma pharaonne, tu vois je t’estime beaucoup, je te place très haut dans la hiérarchie de mon cœur, c’est juste que j’aime les ensembles et que j’aime me rêver fils de roi, même s’ils deviennent dégénérés ou décapités. Je me crois petit-fils du tombeau futur, et tes rides donnent le signe, donnent le la. Au fond, quand la peau se met à se friper, faut juste écouter ce que la terre a à dire. Elle appelle, t’entends pas ? C’est les ensembles qu’il faut écouter, pas les trucs qu’on imagine en eux. Et les ensembles des ensembles, pour peu qu’ils soient prétentieux (parce que liés à la mélancolie et au vide bileux), ne donnent toujours qu’une seule vue sur la vie. Et y a pas de bibelots, là-dedans. Et, mamie, tu me croiras peut-être pas mais quand t’as eu la chance de voir toute la vie d’un seul coup d’oeil, le théorème du phénomène, ben tu deviens complètement aveugle et au centre de l’œil, y a un truc tout vide qui se place et se met à battre, ben oui, à faire se propager à l’intérieur de ton corps des impressions qui font appel à tous les sens. Un p’tit cœur bileux. Un p’tit cœur. Tu diras que je raconte n’importe quoi, mamie, je te répondrai t’as raison, sans doute parce que je veux pas que tu crèves, ni te froisser encore plus, ni sans tes objets ni sans tes bandelettes. Et puis, y a du bon dans l’ignorance. Maintenant, si tu le veux bien, et c’était tout l’objet de ma lettre, ben quand tu mourras, mamie, si tu veux bien, je veux bien t’envelopper de bandelettes, pas tellement pour faire une sorte de cadastre de ton corps, tu sais que j’aime pas ça, mais plutôt parce qu’avec les gazes, tu seras toute blanche, de la tête au pied et qu’en te regardant de loin, t’auras l’air d’une et une seule sculpture plutôt qu’un cadavre qui se dénombre. Tu seras toute blanche, unie. Ça sera bien, non ?

Ton petit bonhomme

 

Texte © Mathieu Brosseau – Photo © DR
Pour lire les autres épisodes publiés sur D-Fiction du workshop “L’Animal Central”, c’est ici.


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